Auréolé à Cannes du Prix de la Mise en scène et du Prix du Meilleur Comédien (Wagner Moura, exceptionnel), ce film brésilien est bien plus qu’un thriller politique. C’est un geste de cinéma virtuose et déroutant aux multiples facettes qui évoque le passé dictatorial du pays et, plus généralement, la nécessité de raconter ce que l’histoire officielle masque, pour que rien ne disparaisse
Brésil, 1977. Marcelo, un homme d’une quarantaine d’années fuyant un passé trouble, arrive dans la ville de Recife où le carnaval bat son plein. Il vient retrouver son jeune fils et espère y construire une nouvelle vie. C’est sans compter sur les menaces de mort qui rôdent et planent au-dessus de sa tête…
Le réalisateur, Kleber Mendonça Filho, est l’auteur de films foisonnants et surprenants comme Aquarius et Bacurau, eux aussi présentés à Cannes en compétition (le
deuxième y a remporté le Prix du Jury), dans lesquels les genres (fantastique, western, social, comédie…) se recoupent. Ses films ont toujours une portée politique, notamment dans leur dénonciation des inégalités sociales, dues aux ravages du capitalisme. Avec ce dernier film, il poursuit dans cette démarche engagée et poétique, qui en fait l’un des cinéastes les plus importants de son époque.
Sensation sur la croisette au point d’être passé tout près de la Palme d’Or, The Secret Agent est une expérience de vision comme nous n’en vivons pas couramment. Comme dans le long métrage de Walter Salles, sorti en début d’année, Je suis toujours là, le film revient sur le passé dictatorial du Brésil, dans les années 1970, mais avec une approche nettement plus artistique et décalée. Dès le début du film, dans une ambiance de western crépusculaire, tout est dit. Un mouvement de caméra virtuose nous fait découvrir le parking poussiéreux et désert d’une pompe à essence où gît le corps d’un homme mort, juste recouvert d’un carton, qui ne semble intéresser personne. Le ton est donné et nous ne pourrons plus jamais détacher notre regard de l’écran : la violence va côtoyer le mystère et l’absurde, la virtuosité de la mise en scène, la beauté de la photographie et l’originalité de la narration transformeront la réalité en expérience sensorielle inquiétante.
Admirablement écrit, The Secret Agent nous fait voyager dans les dédales d’un scénario labyrinthique d’apparence complexe, débordant de partout, dont le sens ne surgira que progressivement. Le résultat est une grande fresque historique sous tension qui explore le passé sombre du Brésil. Elle dénonce ce que le pouvoir voudrait voir disparaître définitivement des livres d’histoire officiels, en s’appuyant sur une succession de mini-intrigues. Leur fil rouge est cet homme énigmatique mais auquel on s’attache tout de suite tant on le sent fragile, dans l’inquiétude permanente, lui qui est balloté entre la vie et la mort.
The Secret Agent raconte la peur de se faire tuer, ce que c’est de vivre avec la certitude que quelqu’un vous suit pour vous éliminer, ce que c’est de voir un homme qui ne sait pas ce qu’est devenu sa mère, qui aimerait renouer avec son fils sans savoir que les événements vont tout compliquer. Ludique aussi, le film ne cesse de se nourrir du cinéma, de ses codes, de ses pouvoirs, de son histoire (le clin d’œil aux Dents de la mer est truculent) et nous offre un voyage extraordinaire comme seuls les grands films peuvent en proposer.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux
Avant-première précédée d’une introduction par Tinne Bral (distributrice du film, Imagine Film Distribution)
Séance gratuite
Dans le cadre de la EULAC Cinema Night